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© Casterman

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Le grand pouvoir du Chninkel
ScénarioVan Hamme Jean
DessinRosinski Grzegorz
CouleursNoir et Blanc
Année1988
EditeurCasterman
CollectionStudio (A Suivre)
SérieOne-shot !
Bullenote [détail]

Des ruines encore fumantes de ce monde ravagé surgirent les armées de ceux qu'on appela les Trois Immortels: Zembria La Cyclope, Barr-Find Main Noire et Jargath Le Parfumé. Ainsi naquit la Guerre. Et ainsi débuta le long esclavage du peuple Chninkel, qui ne cesse depuis d'expier la terrible faute de ses ancêtres. J'On le petit Chninkel est désigné par le Maître Créateur des Mondes pour mettre fin à ces luttes impitoyables et refaire naître la paix sur ce monde apocalyptique...

 

3 avis

Jean Loup
Le monde de Daar, aussi loin que remontent les souvenirs des différents peuples qui l'habitent, a toujours été en guerre. Les trois Immortels, Zembria la cyclope, Barr-Find Main noire et Jargoth le parfumé, lancent à chaque croisée des deux soleils leurs armées dans une lutte sanglante et impitoyable, pour des raisons si anciennes que nul ne les connaît plus. Même les petits et malingres chninkels, réduits en esclavage par Barr-Find, doivent participer à l'immense carnage programmé. Mais à la fin d'une bataille, J'on le chninkel parvient miraculeusement à survivre. J'on s'extrait des monceaux de cadavres qui le recouvrent, et, oublié de tous, s'abandonne au désespoir. C'est alors que lui apparaît une étrange entité monolithique, qui se présente comme le Maître créateur des mondes et confie au jeune chninkel une mission : il doit ramener la paix dans le monde de Daar. Pour cela, l'entité lui accorde le Grand Pouvoir... Mais en quoi ce Grand pouvoir consiste-t-il ? Et comment diable J'on, misérable petit esclave, pourrait-il amener les redoutables Immortels à cesser leur querelle ?
"Le grand pouvoir du chninkel" est une extraordinaire bande dessinée. Sans doute l'une des meilleures à ce jour, si l'on en croit les avis de nombreux amateurs. Rééditée il y a peu sous forme de trois albums en couleur, cette oeuvre est sortie à l'origine en un volume unique, en noir et blanc. Sans affirmer que la réédition est nécessairement inférieure, l'édition originale a l'avantage de mettre en valeur la qualité du trait de Rosinski. L'auteur de "Thorgal" maîtrise pleinement son trait, d'autant qu'il sait en 1988 qu'aucun ajout de couleur ne viendra le modifier. Il y a donc un soin tout particulier accordé au jeu des ombres et des lumières, tant pour les décors que pour les personnages. Van Hamme, déjà complice de Rosisnski pour "Thorgal", livre un scénario d'une ambition et d'une virtuosité époustouflantes. Ceux qui critiquent aujourd'hui cet auteur à succès feraient bien de relire "Le grand pouvoir du Chninkel". Le scénariste s'y réapproprie les mythes bibliques (l'Ancien comme le nouveau Testament) : même si le parallèle avec Jésus et les évangiles est le plus évident, la rencontre de J'on avec le maitre créateur évoque plutôt Moïse, et le caractère de la divinité, jalouse et rancunière, évoque le dieu hébreu plus que le dieu chrétien. Une certaine connaissance des événements bibliques est nécessaire pour pleinement apprécier le travail de Van Hamme, mais son récit peut également se lire comme une formidable aventure, inventive et remarquablement menée.
Fondement de la civilisation occidentale, la Bible a profondément marqué de son empreinte la bande dessinée grâce à Rosinski et Van Hamme. Car "Le grand pouvoir du Chninkel", répétons-le, est l'une des oeuvres incontournables du genre, que les années n'ont aucunement altéré. Inutile de dire que sa lecture est indispensable si vous souhaitez revendiquer une culture bédéphile.
NDZ
Tout d'abord, je tiens à préciser que j'ai lu la version N&B et que certes, je n'apprécie pas vraiment le trait de Rosinski, mais j'admire cependant la beauté merveilleuse de certaines couvertures de Thorgal.

Voyage initiatique d'un (anti?) héro plus que passif, martyr et au caractère proche du néant. Il est le sauveur et l'assume, grâce à sa foi aveugle (idiote?), sans le comprendre vraiment.
Quoique profondément athée (non, plutôt agnostique), j'ai une certaine culture religieuse grâce à de nombreuse lectures et, contrairement au sentiment général, j'ai trouvé que ce livre était plutôt une "parodie" de l'ancien/nouveau testament, une compilation de clichés de mauvais films hollywoodiens moralisateurs, scènes (et Cène) pompées sur les grands de la peinture de la renaissance qui, loin de l'hommage (de même que pour l'"apparition" du monolithe de 2001 de Kubrick, référence tellement mal digérée qu'elle est aussi belle qu'une vomissure), soulignent le manque d'imagination des auteurs, tant au niveau scénaristique que graphique.

Les personnages féminins oscillent entre la compagne effacée, fidèle, voir soumise, ou la nympho surpuissante et guerrière, ce qui reste cohérent avec le machisme ambiant des autres séries du scénariste, XIII et consorts.

Le préjugé on ne peut plus raciste qui clôt le choix du corps pour la "scène d'amour" m'a définitivement convaincu de la médiocrité du propos... L'existence de ce passage est d'ailleurs pour moi incompréhenssible, d'intérêt nul, est-elle (cette "scène de fesse") uniquement présente pour stimuler les hormones des ados à qui le bouquin s'adresse?

Chute plus que convenue, qui arrive après des planches muettes emplies de profond ennui dont le dessin est malheureusement proche de l'illustration bon marché des livres se targuant de reconstituer avec minutie une ère préhistorique plus hypothétique que scientifique.

J'avais lu une première fois ce livre dans une période où la production générale engendrait en moi un profond inintérêt pour la bande dessinée. Je l'ai relu depuis mon réveil bédéphile et bédévore stimulé par, entre autres, Blain, David B., Sfar et Larcenet, et puis... rien... aucune émotion, aucune réaction... encore une fois? Décidément, je ne comprends pas les légions de fans et les avis enthousiastes que compte cette "oeuvre". Seule consolation, je n'ai fait qu'emprunter cet album et ne l'achèterai sûrement pas, laissant ainsi des exemplaires pour les autres milliers de fans à venir.

Culte pour certain, pour moi, à éviter.
Mr_Switch
Début 2006 2007. Voilà bientôt plus de 3 ans que j’ai placé le présent one-shot dans ma bullezone « albums à chroniquer ».
Pourquoi tant de lenteur à écrire ma bafouille ? A cela, une kyrielle de raisons : le besoin de laisser décanter mon ressentiment, la notoriété énigmatique de cette bande dessinée, un scénariste parfois sujet à polémique …
Polémique. Le grand pouvoir du Chninkel est-il un miroir aux alouettes ? Est-ce une supercherie comme d’aucuns aiment le scander ?

Bref, pour une énième fois, je reprends le clavier, et cela en raison d’une interrogation qui me traversa furtivement la tête. Cet album est-il un roman graphique ? Bizarrement, le débat sémantique autour de cette expression m’intéresse peu. Disons que le thème refait surface épizootiquement, que les témoignages enfiévrés exaltent la place publique et que je fus contaminé.
Mais tout de même, ce livre nous conte bien une quête, une aventure romanesque. C’est un indice, non ? C’est un ouvrage qui est chapitré, ce qui structure et aère le récit. Et puis, c’est quand même du Noir et Blanc, tout ça. Dès sa sortie, ça dut être une bande dessinée atypique par son volume. J’en veux pour preuve le besoin qu’a éprouvé Casterman, de publier 3 tomes en couleurs tirés du one-shot noir et blanc. (Les 3 mêmes tomes maintenant réunis en intégrale tel un … one-shot … ah-ben-oui-la-boucle-est-bouclée.)
En plus, il y a ce titre de collection : Les Romans (A suivre)
Tout ça est bien tentant, trop tentant. Il y a des arguments pour les multiples acceptions de l’expression. Histoire de contenu, de contenant, d’atypisme et de business. C’est l’impasse. Donc passons …

Quand j’ai commencé à surfer sur des sites BD, vers 2000, les 3 premiers titres qu’on m’ait conseillés étaient De cape et de Crocs, Lanfeust de Troy et ce Grand pouvoir du Chninkel.
Le premier reste salué assez unanimement. Le deuxième a perdu quelques lettres de noblesse. Quant au Grand Pouvoir … , voilà un album qui a le droit d’être au Panthéon de la BD, tout en restant controversé.
En réalité, si certains n’aiment sincèrement pas l’histoire, d’autres bloquent surtout sur le scénariste Van Hamme et sa propension au recyclage.
Voltaire ne croyait pas en un Dieu mais plutôt en un Grand Horloger de l’univers ?
Je ne crois pas que Van Hamme soit le dieu du scénario BD. Mais ce fut un Grand Recycleur (de l’univers BD).
Et ma foi, ce n’est pas si simple de recycler proprement.
Un dieu ne meurt que quand plus personne ne croit en lui ? Sans doute, la production de Van Hamme a-t-elle faibli quand son lectorat s’est mis à douter de son pouvoir de tri sélectif.

Ce livre ne repose justement pas sur une seule idée directrice. Rares sont les bédéphiles qui ignorent que l’histoire est en quelque sort une parodie biblique. Les sources sont cependant plus diverses et puisent par exemple dans l’Heroic Fantasy. C’est ce cocktail qui est assez détonant.

( Toutes les références ne sont pas élémentaires, aussi mes explications sont susceptibles de déflorer quelque peu l’intrigue. )

Nous assistons donc au voyage initiatique de J’on, un Chninkel, ancien esclave, sur une planète du nom de Daar. Après une bataille sanglante entre les 3 Immortels et leurs armées, J’on est laissé pour mort. Il s’extirpe du tas de cadavres tel un Colonel Chabert et se retrouve seul. Est-ce le dernier Chninkel en vie ?
J’on ressemble un peu, physiquement, au héros d’un film américain de 1982, Dark Crystal, film de marionnettes de Jim Henson et Frank Oz. Dans ce long-métrage, Jen, le héros, pense être le dernier Gelfling en vie.
J’on a l’apparition d’un hypothétique dieu, U’n, qui le charge de sauver son monde. Notre héros rencontre ensuite Bom-Bom, une espèce de gorille qui devient son compagnon. Il sauve G’wel, une Chninkel (qui ressemble à Kira, la compagne de Jen dans Dark Crystal).
Celle-ci emmène notre héros dans une peuplade de Chninkels libres. Rejeté, J’on repart mais des disciples le suivent déjà.

Le côté emprunt de judéo-christianisme est ici indéniable. U’n, comme un, comme unique peut renvoyer à Dieu. Comme vous savez le christianisme est une religion monothéiste, qui n’a qu’un seul dieu. Pourtant, Dieu est unique et triple à la fois, sous la forme de la Trinité (Père, Fils, Saint-Esprit). Le christianisme repose donc aussi sur 3 entités, 3 Hypostases selon le terme consacré. Le chiffre 3 devient alors symbolique.
Van Hamme crée pour sa part, un hypothétique dieu et 3 entités déifiés, 3 déités (les 3 Immortels : Zembria, Jargoth et Barr-Find). Il y a aussi les 3 points cardinaux de ce monde (Sep, Hor, Far). Je trouve, au demeurant, ces noms très naturels, étonnement naturels, comme si je les connaissais depuis ma prime jeunesse.
Bien sûr, à rechercher des symboles, on en trouve des assez marrants : Prenons le christianisme, monothéisme, et ses 3 Hypostases qui forment un tout insécable. Le grand pouvoir … était un one-shot qui est devenu un few-shot en 3 tomes, avant de redevenir une intégrale unique. Ahahah, beau parallèle. Rions 3 fois.

Dieu n’a pas de nom (ou plutôt, il a été oublié car il est interdit de le prononcer). U’n, le « Maître créateur des mondes » a tous les noms.

U’n est matérialisé par un bloc monolithique. J’on imagine un rituel autour du rectangle, comparable à celui autour de la croix catholique. Du reste, J’on se retrouvera crucifié sur cette stèle.
A ce sujet, J’on pourrait-il être comparé à Jésus ? J’on est un homme qui marche, J’on va être rejeté par son propre peuple, comme Jésus va être rejeté par les siens (les Juifs. Jésus était juif). En cela, oui, il y a matière à comparaison.
Cela dit, ça s’arrête là : les miracles de J’on ne sont bien souvent qu’artifices. C’est le hasard de ses rencontres qui fait de lui un messie ou qu’on le prend pour tel. C’est une mécanique de surenchère qu’on retrouve un peu dans Brian (Les Monty Python, La vie de Brian. Film lui-même parodique.).
Enfin, si Jésus ne doute pas de Dieu, J’on reste toujours un peu dans le doute jusqu’au dernier moment. J’on n’est qu’une marionnette de U’n. D’ailleurs son graphisme vient bien d’une marionnette …

Reste un emprunt biblique que Van Hamme ne maquille pas : la lèpre. Celle-ci atteint les 3 Immortels. Parmi eux, Zembria est atteinte sur la moitié du visage. Elle porte, en conséquence, un demi-masque pour cacher son mal. Ce demi-masque fait penser à celui de la méchante Reine Gedren dans Kalidor la légende du Talisman, un film de 1985 avec Schwarzenegger. Les armées de Gedren et Zembria se déplacent à cheval. Gedren est vaguement lesbienne, Zembria est reine d’amazones …
Mélanger Schwarzy et la Bible, JVH peut le faire !

Parmi les hommages graphiques, on retrouve des clins d’œil à des œuvres, des peintures connus. Par exemple, « La cène » de Léonard de Vinci, page 63. Le dessin de Rosinski y fait particulièrement merveille.

Van Hamme prend certains éléments à contre-pied. J’on et G’wel se laissent aller à de folles étreintes en apesanteur. Cela donne une représentation qui ressemble fort à celle des angelots et des chérubins.
Les Kold sont un peuple d’êtres vicieux, mais qui ressemblent à David le gnome, qui est un modèle de vertu comme vous savez.
Le scénariste semble aimer inverser les rôles. J’on et Volga doivent s’unir dans une étreinte torride. Mais J’on a la migraine (tel le cliché féminin) et Volga finira l’acte avec un Alors, Heureux.
Ce passage est assez controversé. Il contient trop de clichés racistes, trop de clichés pour que ce ne soit pas volontaire… Ce n’est pas ma scène préférée. Je pense que JVH veut tourner ses clichés au ridicule. Je comprends que ça puisse rester coincé à travers la gorge. On doit admettre également que ces éléments en contre-pieds se situent en dessous de la ceinture…

Parmi d’autres éléments, citons Shumshum, la bestiole mécanique, qui se rapproche d’un autre robot visible dans des comics, sans que je ne puisse retrouver la série, ni qui précède qui, en dates de parution.
Enfin, l’armée de Jargoth se déplace à dos d’Orphyx volants, qu’il faut bien sûr rapprocher des ophrys, autant pour le nom que pour le graphisme.

L’album paraît se finir dans une conflagration, une apocalypse (comme nombre de récits d’Heroic Fantasy, non ?). Ce Big-Bang permet au scénariste de concilier créationnisme et évolutionnisme. (Le personnage de Bom-Bom prend alors son importance).
A ce moment, on peut se demander si J’on n’aurait pas mieux fait de mourir dès la première fois, comme le Chabert de Balzac.

Je vous recommande de lire les autres chroniques pour compléter l’éventail descriptif.

Quand on voit que l’œuvre fourmille de références, que c’est magnifiquement imbriqué, tissé, on ne peut qu’apprécier. Si parfois je peux douter de la légitimité de cette histoire, ce foisonnement me captive, me redonne plaisir à la lire.

Oui, c’est une quête passionnante, parfois légère, parfois plus sombre. C’est une quête alourdie par un coté biblique. Alourdie, car certaines métaphores sont lourdes de sens (Sont criblés le hasard, les superstitions, le poids des actes de chacun …) Alourdie car on a le droit d’être accablé par la densité, la saturation en paraboles. Les uns y verront de l’ambition, les autres un remake pompeux.
Toutefois, nous sommes dans de l’Heroic Fantasy avant d’être dans une quelconque parodie de Bible. Quelqu’un qui ne connaît rien à la Bible peut lire cette bande dessinée au premier degré.

Oui, c’est une quête passionnante, grâce aussi à la qualité du dessin de Rosinski. Chaque contrée a son décor, riche en détails. Rosinski rend attendrissant ce Chninkel, qui avec ses gros yeux est franchement laid. On peut se projeter en lui.

Le grand pouvoir du Chninkel peut se révéler être une œuvre captivante et pour cela, je ne peux que vous conseiller de vous y (re)plonger.
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