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par rohagus


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Providence
Dessin : Burrows Jacen
Scénario : Moore Alan

Albums indépendants, en cours


Volume 1 - 2016

Volume 2 - 2016

Volume 3 - 2017

 

1 avis


Rohagus
Série pour lecteurs avertis... Ou devrais-je plutôt dire pour lecteurs érudits ?
Parce que si vous voulez l'apprécier à sa juste valeur, il est très fortement conseillé de bien connaître l'œuvre de Lovecraft... et éventuellement aussi d'avoir lu ou de pouvoir lire en parallèle la série Neonomicon.

Alan Moore offre avec cette série un hommage revisitant l'œuvre du maître de Providence et, comme à son habitude, il le fait avec une quantité de détails, d'informations et d'érudition qui est assez impressionnante. Pour bien l'assimiler, il m'a fallu prendre le temps de relire soigneusement l'intégrale une seconde fois mais aussi d'acheter et lire la série Neonomicon que je conseille de lire entre le chapitre 10 et 11 de Providence pour vraiment bien tout capter.

Car à la première lecture, j'étais un peu sur ma faim. Le déroulé de l'action en elle-même n'est pas complexe (même si elle devient un peu plus barrée sur la fin) mais suivre précisément les dialogues n'est pas toujours évident. En outre, chaque chapitre est séparé par plusieurs pages de texte issus du journal intime du héros, texte qui apporte beaucoup de profondeur au récit en réexpliquant les faits et pensées de celui-ci mais dont la densité demande du temps et un effort de lecture supplémentaire. Et pour ceux qui, comme moi, ont une bonne connaissance de l'univers lovecraftien, la recherche de toutes les références et clins d’œil est un autre effort à ajouter. Et sur les deux derniers chapitres vient en plus le fait de devoir assimiler des événements et personnages de la série Neonomicon pour ceux qui n'auraient pas lu cet autre album...
Tout cela fait qu'au final, la lecture de cette série n'est vraiment pas aisée pour un néophyte et que, comme je l'ai dit plus haut, elle mérite amplement une relecture voire plus pour la savourer pleinement. A titre personnel, je l'ai lue d'abord en 3 ou 4 soirées, puis je suis allé acheter et j'ai lu Neonomicon. J'ai ensuite relu Providence avec la connaissance de ce que je savais de ma première lecture et en appréciant combien l'intrigue recoupait souvent celle de Neonomicon, et du coup en appréhendant nettement mieux son dernier chapitre ébouriffant. Et suite à cela, j'ai aussi regroupé tous mes romans de Lovecraft, j'ai parcouru sur Internet le résumé des histoires auxquelles chaque chapitre de la série fait référence pour me les remettre en mémoire, et j'ai enfin trouvé et parcouru un excellent site web (factsprovidence.wordpress.com) regroupant une foule de commentaires et explications concernant chaque page de ces bandes dessinées d'Alan Moore qui m'a permis de comprendre les quelques références qui m'avaient manqué.
Et ce n'est que suite à cela que je peux confirmer que c'est une très bonne série, même si je sentais son énorme potentiel dès les premières pages.

En quoi consiste-t-elle ?
On y suit Robert Black, jeune journaliste homosexuel qui va parcourir la Nouvelle Angleterre puritaine de 1919 pour remonter la piste d'un ouvrage ésotérique, du groupe secret qui a permis sa diffusion et de tout le monde souterrain au sens propre comme figuré que cela implique. Parti de New York, il va visiter Salem, Athol, Manchester, Boston puis Providence, visitant les lieux réels des nouvelles imaginaires de Lovecraft et étant le témoin de phénomènes de plus en plus inquiétants et surnaturels. Si initialement chaque chapitre fait une référence plus ou moins directe à l'une des nouvelles en particulier de Lovecraft, les références se multiplient au fur et à mesure, jusqu'à une apothéose finale. Je ne peux pas trop en dire mais il faut comprendre que si la série Providence se déroule au début du XXe siècle sur sa grande majorité, elle se termine de nos jours quand elle recoupe au passage le récit de Neonomicon et apporte une conclusion à ces deux récits... et à bien davantage de choses en même temps.

Son discours est excellemment appuyé par le graphisme de Jacen Burrows. Son style réaliste et sa ligne claire, sobre et légèrement désuète s'appliquent très bien à l'ambiance du début XXe siècle. Comme dans Watchmen, Alan Moore dicte des cadrages et mises en scène soigneusement réfléchis qui appuient avec intensité la force du récit tout en lui amenant une profondeur supplémentaire.

Il y aurait trop à en dire pour commenter ici tous les choix narratifs et les détails de cette série qui est d'une densité exceptionnelle. Je souhaiterais cependant insister sur l'angle par lequel Alan Moore aborde son récit, celui de mettre en scène ce héros dont l'homosexualité est un élément qui reviendra très souvent dans l'intrigue. Par ce biais, il fait le parallèle entre le monde souterrain des homosexuels obligés de vivre cachés dans des États-Unis trop puritains et le monde caché du surnaturel lovecraftien. Mais de ce fait, Alan Moore ajoute aussi une grosse dose de sexualité et d'éléments charnels dans l'intrigue qui s'éloignent fortement de l'ambiance lovecraftienne classique. Même si j'approuve le fait de jouer sa propre partition et ne pas se contenter de plagier le maître, je ne suis pas particulièrement fan de cet angle du récit. D'autant que cela donne parfois l'impression que le héros rencontre vraiment partout d'autres homosexuels, comme s'ils s'attiraient mutuellement dans la rue. Le coup de la récompense offerte par Carcosa dans le chapitre 10 m'a également laissé assez dubitatif.
De même, l'aspect qu'Alan Moore met en avant des histoires de Lovecraft est une facette très humaine alors que justement j'aime davantage le côté déshumanisé et inéluctable du mythe des Grands Anciens où les humains ne sont qu'une poussière dans un temps démesuré à leur échelle et où le danger n'a pas de notion de Bien ou de Mal mais uniquement de foncièrement inhumain et écrasant. Il y a moins de cosmique et moins d'indicible chez Alan Moore et davantage de sorciers et d'hommes mauvais qui trichent avec les lois du monde humain et de la nature souvent par égoïsme voire pure méchanceté. Cet aspect plus humain du fantastique lovecraftien me convient un peu moins que ce que je ressens à la lecture de ses nouvelles.

Ce sont ces réserves qui font que je n'ai pas totalement succombé au charme, à la force et à la densité intellectuelle de Providence. Mais à tous ceux qui aiment et connaissent bien Lovecraft, et qui savent de quoi l'auteur de Watchmen est capable, je conseille cette lecture sans hésitation !
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