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Reiser, Lauzier et les autres

Bandes Dessinées : auteurs, séries, et toutes ces sortes de choses... ]


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Pages : 1

lanjingling, 22.06.2018 à 16:48369280
Pierre :
Lauzier avait des choses à dire, et il a utilisé accessoirement la bande dessinée pour s'exprimer: un exemple ? Prenons la tranche de vie "Du côté de chez Chan" qui est une satire délectable de l'endoctrinement maoïste. Ce récit m'avait marqué au point que j'en avais établi une transposition littérale, sans image et de fait, cela pouvait se lire très bien sans le recours au dessin.

Texte que je trouve amusant, avec beaucoup de recul; en effet, cela témoigne bien des qualités d'observateur de Lauzier, mais ce n'est absolument pas une satire. J'entends encore en 2018 nombre de ces phrases répétées à l'envie par des gens robotisés, arrivistes ou craintifs, dans les mêmes contextes de critique et autocritique, de rédemption par le sacrifice, de dénonciations, d'obsession absurde du chiffre précis, les citations de Mao étant juste parfois remplacées par celles du président-dictateur à vie actuel. Jusqu'à l'insulte à Mao pendant l'acte sexuel qui me rappelle "Servir le peuple", de Yan Lianke.
Seuls les prénoms des rejetons pèchent: on ne donne pas en Chine le nom de quelqu'un; à l'époque, les prénoms étaient plutôt "Avant garde", "Héros du peuple", "Fierté du peuple". Maintenant, c'est plutôt "Argent", "Richesse", "Pouvoir", "Puissance".(Mon nouveau chef, un connard, se prénomme "Lai Jin", qui se traduit par "Que vienne l'or".)

Pierre, 20.06.2018 à 21:40369258
Adaptation d’après Gérard LAUZIER, Tranches de vies, tome 2, Dargaud, 1976 :


Je n’oublierai jamais le jour où je vis Li-Susu pour la première fois. Elle commentait la célèbre phrase du président Mao :

« Une révolution populaire est une révolution faite par le peuple ».

Il émanait de son sourire une telle douceur idéologique, ses traits étaient empreints d’une telle grâce prolétarienne que, imaginez mon désarroi, j’en perdais le fil de la vivifiante pensée du Grand Timonier !

Pendant l’année qui suivit, mon amour ne cessa de grandir. Mais je n’osais lui parler. Je me contentais de la contempler de loin, jusqu’à cette séance d’approfondissement de notre foi en la pensée du président Mao, où Li-Susu m’attaqua violemment :

« Chan est un paresseux ! Il ne met aucun enthousiasme révolutionnaire à accomplir son devoir sacré d’ouvrier spécialisé à la fabrication de roulement à billes ! »

Ainsi, elle m’avait remarqué ! J’existais donc pour elle ! Ce fut le plus beau jour de ma vie. « Chan, reprit-elle, ne montre aucune ferveur à étudier la vivifiante pensée du président Mao. Chan est une mouche puante sur le visage radieux de la république populaire chinoise ! »

Mon cœur se gonfle d’émotion à l’évocation de cette journée qui fut le véritable début de notre idylle. Peu après, les camarades exigèrent mon autocritique :

« Ordure révisionniste ! Vipère lubrique ! Allié objectif des impérialistes ! »

Mon autocritique, je la fis avec toute la force de mon amour :

« Je suis un pou extrêmement repoussant avouai-je, qui suce sournoisement le sang de notre chère fabrique de roulements à billes. On ne peut me regarder qu’avec un mépris infini. J’exige un châtiment exemplaire ».

Imaginez ma surprise éblouie : ce fut Li-Susu, oui, Li-Susu elle-même, qui prononça la sentence !

« Chan, dit-elle, n’est plus digne de travailler à la chaîne de fabrication ! Il sera affecté au nettoyage des latrines. Ce n’est pas un châtiment, c’est une chance que lui donne le Parti de revenir au sources du marxisme-léninisme et d’y puiser une foi nouvelle dans la victoire du prolétariat ! »

Je la remerciai avec ferveur et, le jour même, je trouvai le courage d’approcher Li-Susu et de lui faire part de mon amour :
-Camarade, je dois vous confessez quelque chose, commençais-je, au cours de mon autocritique j’ai menti aux camarades.

Sa réponse fut cinglante :

-Le président Mao a dit « Mentir au Parti est extrêmement grave car mentir c’est ne pas lui dire la vérité ».
-Camarade, repris-je, j’ai caché les vraies raisons de ma paresse et de mon manque d’enthousiasme révolutionnaire : c’est que je vous aime d’un amour profondément prolétarien qui m’empêche de penser à autre chose !
-Camarade, répondit-elle, si votre amour va à l’encontre des objectifs du plan quinquennal, il ne peut être objectivement considéré comme un amour authentiquement prolétarien.
-Camarade Li-Susu, je voudrais vous épouser.
-Camarade Chan, le mariage est un acte politique extrêmement grave qui demande une longue réflexion. Dans sa grande sagesse le président Mao a décidé que les garçons ne pourraient se marier avant l’âge de trente ans. Comme vous en avez vingt, cela nous laisse dix années pour réfléchir.

Ainsi, elle m’aimait ! Li-Susu cependant, voulut consulter le camarade Ho-Toc-Ton, délégué à la surveillance des bonnes mœurs :

« Camarade Chan, votre amour est visiblement infecté par d’ignobles relents de sensiblerie petite-bourgeoise. Vous devez donc aller fortifier votre conscience de classe auprès des paysans du Ko-Nang ! »

Ce qui fut fait. J’appris beaucoup auprès des paysans du Ko-Nang, l’une des régions les plus torrides de la Chine du sud, telle cette pénétrante pensée attribuée au président Mao : « Si tu marches dans le purin ne t’étonnes pas de sentir la merde… ».

Nous travaillions dur mais, le dimanche, nous pouvions nous livrer à nos distractions favorites : la construction de l’abri antiatomique et l’organisation de passionnantes séances d’éducation politique. Je dois pourtant reconnaître que, dans cette vie exaltante, les meilleurs moments étaient ceux où je lisais et relisais les lettres de ma chère Li-Susu qui, invariablement commençaient ainsi : « Mon Chan chéri, le président Mao a dit… ».

Ma conscience de classe se fortifiait d’année en année. Pour le soixante-dixième anniversaire du président Mao, une délégation de ma commune fut invitée à Pékin, et Ô surprise, Ô joie, je fus désigné pour en faire partie !

Nous étions parmi les 11.758 délégations auxquelles fut accordée l’insigne distinction de trôner aux pieds de la tribune du Grand Timonier. Mon cœur était gonflé d’orgueil à l’idée d’être au nombre des 386.787 sujets d’élite triés sur le volet pour occuper cette place d’honneur. J’avais l’impression qu’on ne voyait que moi !

Des dizaines de milliers de délégations défilèrent sous nos yeux éblouis et quelle ne fut pas ma stupéfaction et ma joie lorsque dans ce flot ininterrompu je reconnu … Qui ? Vous ne devinerez jamais ! Li-Susu ! Et, Ô émotion indicible, Ô surprise délectable, Ô miracle de l’amour, à l’instant où sa délégation passa devant nous, Li-Susu tourna la tête dans ma direction et me sourit ! Ô ma Li-Susu adorée, Ô perle de rosée suspendue au pétale de magnolia que fait frémir le vent dans un rayon de soleil printanier. Ainsi l’amour, dans cette foule immense, avait guidé ton regard jusqu’à moi !

Et comment ne pas croire au miracle de l’amour quand je vous aurai dit que, le lendemain, alors qu’à notre tour nous défilions dans le stade baptisé « Biceps gonflé du prolétariat », à l’instant où nous passions devant la tribune du Grand Timonier, une force inconnue me fit tourner la tête vers la droite et -mon cœur éclate d’émotion en revivant la scène, je vis Li-Susu dans la foule des délégations qui nous acclamaient !

Après le défilé, je pus enfin, pour la première fois depuis cinq ans, revoir ma chère Li-Susu. Elle me dit :
« 975.869 camarades, en passant devant sa tribune, ont, en un hommage silencieux, tourné leur visage vers la présence radieuse du Grand Timonier. Un seul a eu l’audace monstrueuse de détourner la tête… et c’est toi, toi mon fiancé. As-tu seulement pensé à ce que j’ai ressenti ? Outrager ainsi le père de la Révolution ! Et cela, devant toutes les camarades de la fabrique de roulements à billes !».

Merveilleuse Li-Susu ! N’écoutant comme toujours, que sa conscience de classe, elle alla confesser ma faute à la commission de discipline du Parti.

« Votre système de défense, me dit-on, invoquant un prétendu miracle de l’amour, ne résiste pas à l’analyse marxiste-léniniste la plus élémentaire ! Votre geste est inqualifiable. Vous partirez dès demain rejoindre la brigade des pionniers rouges « sourire imperturbable du marxisme-léninisme » à Wu-To-San, au Tibet. »

Les pionniers rouges construisaient une route dans les montagnes du Tibet qu’infestaient des milliers de capitalistes tibétains fanatisés par les monopoles. L’aveuglement contre-révolutionnaire de ces peuplades capitalistes était pour moi une énigme. Mais enfin, m’interrogeais-je, ces misérables n’ont donc jamais lu le président Mao ?

Au bout de cinq années, je fus rapatrié pour raison sanitaire, mais ma conscience de classe pétait la santé ! Li-Susu m’attendait à la gare. Six mois plus tard, je l’épousais.

Ô souvenir inoubliable de notre première nuit de noces ! Ô pureté idéologique de mon aimée jusque dans les transports de passion ! Lorsque pour la deuxième fois je voulus visiter ce que Li-Susu appelait sa petite grotte du Hou-Nan en souvenir de la grotte qu’habitait le président Mao au début de la Révolution, elle m’arrêta : « Mon chéri, Mao a dit : garde toutes tes forces pour la construction du socialisme ! ».

Nous vécûmes heureux. Li-Susu nous donna trois garçons : Mao, Tsé et Toung. Notre bonheur semblait devoir durer toujours.

Les chemins de la destinée sont tortueux. Celui que le malheur emprunta pour venir nous frapper passait par l’adorable petit derrière de Li-Susu. Elle avait, sachez-le, la plus jolie petite croupe de tout le Sichuan, des rondeurs parfaites, dodues et satinées qui me rappelaient les collines de mon Chu Tang natal. Mais, chaque fois que je voulais quitter sa petite grotte du Hou-Nan pour ses ravissantes collines du Chu Tang, Li-Susu me repoussait :

« Le président Mao a dit : celui qui veut prendre sa femme par derrière est comme un paysan qui voudrait labourer son champ avec une charrue renversée ».

Peu à peu, ses collines du Chu Tang devinrent pour moi une obsession… J’y pensais même pendant les cours d’éducation politique ! Et toujours, elle me repoussait. Jusqu’à ce jour funeste où éclata le drame qui devait briser nos vies ! Alors qu’invariablement elle rétorquait :

-Mao a dit « l’homme qui veut prendre sa femme par derrière est comme…
-LE PRESIDENT MAO EST UN GROS CON ET SES PENSEES ME FONT PROFONDEMENT CHIER ! L’interrompis-je en hurlant.

Sur le moment je crus être devenu fou d’autant plus qu’à la terreur que m’inspirait mes propres paroles, se mêlait un sentiment de soulagement presque, oui, de bonheur que seule la démence parvenait à expliquer. Je me repris rapidement et aidai Li-Susu à s’habiller pour aller me dénoncer. Après son départ, j’eu une seconde crise :

-LE PRESIDENT MAO EST UN GROS CON ET SES PENSEES ME FONT PROFONDEMENT CHIER !

Heureusement, la présence de mes enfants m’aida à reprendre mes esprits…

Maintenant, en signant les 3.873 pages des minutes de mon procès, je sais que je n’étais pas fou. Mon geste traduisait ma véritable nature de bourgeois contre-révolutionnaire longtemps refoulée. Ce qui est extraordinaire, si l’on songe que tous mes ascendants étaient des coolies et que, chez nous, avant la Révolution, mourir de malnutrition était une espèce de tradition familiale. Je suis un cas, d’après le camarade Li-Pig, et il s’y connaît, le camarade Li-Pig !

J’aime beaucoup le camarade Li-Pig. Et il me le rend bien. Tout au long des trois années qu’a duré mon interrogatoire, à raison de dix heures par jour, il m’a guidé dans la découverte de moi-même. Grâce à lui, j’ai compris que les pensées de Mao, au fond, m’avaient toujours fait l’effet d’un tas d’âneries comparables au catéchisme que les missionnaires blancs nous enseignaient, avant qu’on les expulse. Que mon devoir sacré d’ouvrier spécialisé me faisait suer. Que la seule chose que j’étais conscient d’avoir appris des paysans du Konang c’était de savoir imiter en rotant les premières mesures de l’hymne national. Quant aux tibétains, j’ai toujours au fond trouvé étrange qu’il faille les massacrer pour parvenir à les libérer ! J’étais un tel hypocrite que, toutes ces pensées, j’avais pu les cacher, non seulement aux autres, mais aussi à moi-même…

En définitive, le camarade Li-Pig est la première personne avec qui j’ai parlé librement. C’est mon seul ami. Grâce à lui j’ai pu voir une dernière fois mes enfants. Il les a fait comparaître à mon procès comme témoins à charge.

J’ai été condamné à trente ans de camp de rééducation à régime sévère pour pensées contre-révolutionnaires. Le camarade Li-Pig m’a rassuré. D’après lui, être en prison ou en liberté, chez nous, ça ne fait pas une grosse différence. Voilà encore une conquête de la Révolution !

Il m’a permis enfin, de venir me recueillir sur la tombe de Li-Susu. Oui, car j’ai oublié de vous dire que, lorsque après m’avoir dénoncé, Li-Susu est revenue en compagnie de deux miliciens, je lui ai planté un couteau en plein cœur. C’est grâce à cela qu’on m’a accordé des circonstances atténuantes pour dérèglement mental.

C’est assez juste, moi-même je ne vois pas d’autre explication à mon geste qu’un accès de démence. Une femme que j’adorais et qui ne cherchait qu’à me faire rentrer dans le droit chemin idéologique ! Maintenant, le mal qui était en moi a été extirpé jusqu’à la racine. C’est désormais sur un terrain sain que pourra germer la vivifiante pensée du président Mao, grâce au camarade Li-Pig… et à ma Li-Susu ! Grâce aussi, à son adorable petite croupe, la plus jolie de tout le Sichuan, ravissantes collines de mon Chu Tang natal.

Thierry, 09.12.2013 à 11:58353155
premier essai, et ce fut donc ce "mon papa", conseillé plusieurs fois. Drôle et tragique en effet; D'un côté, je trouve l'expressivité duu dessin de Reiser incroyable. De l'atre, une désillusion totale sur le genre humain, que ce soit dans "mon papa" ou "les autres" qui cloture le volume. C'est drôle et méchant, mais aussi foutrement intelligent.
Une planche particulièrement cruelle est celle d'une femme enceinte qui passe devant un batiment en construction. A chaque case, son ventre s'arrondit tandis que la construction du batiment avance.A la derbière case, le batiment en question est un eglise à l'entrée de laquelle la femme abvandonne son bébé.

lanjingling, 08.10.2013 à 3:32352572
La classification politique est-elle un bon critère pour estimer ces auteurs et leur production ? Rapprocher Lauzier des Hussards n'a en l'occurence pas de sens sur ce point car Lauzier n'est pas un styliste, tout au contraire des Hussards, ils ne sont donc pas dans la même famille esthétique.
Je vois aussi ici transparaitre une dichotomie classique entre la droite, conservatrice ou même réactionnaire, et la gauche qui serait progressiste; de ce point de vue, tous les auteurs de l'époque qui ont créé la B.D. adulte sont donc de gauche, de Fred à Forest; je me souviens d'une interview de Goscinny qui disait qu'il allait se faire haïr quand il a décidé de publier Lauzier, (sensation qui ne semblait pas lui déplaire), ce qui semble corroborer mon idée qu'il allait introduire une créature de droite dans un monde de gauche (Lauzier serait donc l'exception, revendiquant son point de vue de droite).

Pierre, 07.10.2013 à 20:41352571
Une interview intéressante où Lauzier revient sur ses années brésiliennes et notamment ses démêlés avec la justice du pays pour suspicion de "gauchisme". Dans une autre interview, pour Bodoï cette fois (il doit y avoir dix ans), il déclarait (je cite de mémoire) un peu présomptueusement, avoir "fait Mai 68 dix avant tout le monde".

Docteur C, 07.10.2013 à 20:28352570
Aba Sourdi :
Pourtant, à cette époque, le "de gauche" et le "de droite" ne se maniaient pas aussi facilement qu'aujourd'hui concernant la famille soixante-huitarde, peut-être à cause de l'importance encore grande du PCF. Même Pierre Fournier, le militant écolo fondateur de La Gueule Ouverte, a mis longtemps à déclarer l'écologie "de gauche" devant l'aspect très concret de ses combats ne se rapportant encore à aucune mythologie (et ses origines personnelles bel et bien "réactionnaires", pour le coup). C'est justement parce qu'on parle de positions qui seraient bien réelles que dire "Reiser = de gauche" peut être aussi simpliste que dire "Lauzier = de droite", et pourtant je partage la première des deux équations. J'ai même déjà entendu "Wolinski = de droite" dans la bouche de gens très sérieux alors il faut que j'arrête d'être surpris, certes.


Le fait est que Wolinski a publié des bd stupides et misogynes dans Paris Match pendant des années, sans compter son appui sans faille à Val lors de la relance de Charlie Hebdo, et j'en passe. Reiser est mort assez jeune pour ne pas avoir à y prendre part.

Le "de gauche" et "de droite", c'est toi qui cherche à le brouiller très sciemment, il n'y a rien de compliqué à considérer l'appartenance de Reiser à la bande d'Hara-Kiri et son engagement concret, les polarités politiques étaient bien plus marquées en 68 qu'aujourd'hui.

Et il n'y pas à discuter l'engagement politique de Lauzier qui n'a appartenu à aucune mouvance de la gauche, et dont les déclarations, les films et les bandes dessinées en disent suffisamment pour trouver qu'il était clairement de droite, et ce même si les Al Crane avec Alexis me font rire.

Pierre, 07.10.2013 à 20:25352569
Nonobstant la légitimité de la dichotomie énoncée plus bas, elle ne doit pas dispenser le curieux ou l'amateur de la lecture de l'œuvre réjouissante de Lauzier.

Aba Sourdi, 07.10.2013 à 18:36352567
Pourtant, à cette époque, le "de gauche" et le "de droite" ne se maniaient pas aussi facilement qu'aujourd'hui concernant la famille soixante-huitarde, peut-être à cause de l'importance encore grande du PCF. Même Pierre Fournier, le militant écolo fondateur de La Gueule Ouverte, a mis longtemps à déclarer l'écologie "de gauche" devant l'aspect très concret de ses combats ne se rapportant encore à aucune mythologie (et ses origines personnelles bel et bien "réactionnaires", pour le coup). C'est justement parce qu'on parle de positions qui seraient bien réelles que dire "Reiser = de gauche" peut être aussi simpliste que dire "Lauzier = de droite", et pourtant je partage la première des deux équations. J'ai même déjà entendu "Wolinski = de droite" dans la bouche de gens très sérieux alors il faut que j'arrête d'être surpris, certes.

(Je ne dirais rien sur le ton que tu emploies car ça nous mènerait à "mais c'est toi qui cherches ce ton" et ainsi de suite, et on n'en serait pas plus avancé.)

lldm, 07.10.2013 à 18:09352566
Ce n'est pas de la naïveté légendaire, Aba. Tu dis juste des conneries.
Les polarités politiques de ces auteurs ne se fixent pas au gré de ce que tu ressens avec ton estomac, ton épiderme ou Dieu sait quelle partie de ton organisme à l'exception du seul organe auquel tu devrais faire appel pour en juger. Ne serait-ce que pour te renseigner un peu mieux sur les deux auteurs dont tu parles, leurs positions réelles, leurs engagements réels, leurs déclarations réelles, leurs participation à des actions réelles. Histoire d'arrêter d'interpréter le monde au gré d'un gouvernail "naïf et légendaire".
Ne compte-pas sur moi pour faire ça à ta place ici : j'ai autre chose à foutre que de pallier la légèreté derrière laquelle trop souvent tu te réfugies, avec mon éventuel propre travail historique pour l'honneur minuscule de te mettre le nez devant ces réalités auxquelles tu tiens tant à te soustraire (car toutes ces lectures, oui, sont tout de même presque trente ans derrière moi).

Aba Sourdi, 07.10.2013 à 18:07352565
*eh merde, pour la dernière fois il faudra que je me rappelle que c'est Bretécher et pas "Brétécher". j'y arriverai jamais.

Aba Sourdi, 07.10.2013 à 18:03352564
Pourtant, chez Lauzier, je ne trouve pas les gens de gauche plus ridicules que ceux de droite. Quiconque assène une croyance butée est ridicule et hypocrite, à ses yeux. D'où un certain conservatisme "pragmatique" et "revenu de tout", on peut dire. Je trouve en tout cas que ça se sent qu'il a été de gauche, surtout que sociétalement il me semble tout aussi libertaire que tous ceux dont on est en train de parler. À ce propos, on se rend compte que le point commun des quatre auteurs que j'ai listés (Lauzier, Reiser, Wolinski et Brétécher) est le féminisme, certes souvent limité et de mauvaise foi chez les mâles car uniquement centré sur la sexualité (même chez Reiser), alors que beaucoup plus complet et constructif chez Brétécher.

Mael, 07.10.2013 à 17:48352562
Je ne suis pas d'accord, tout dans les déclarations de Lauzier (qui est un auteur que j'aime lire) est clairement de droite, que ce soit financièrement (je sais qu'aujourd'hui c'est moins sensible) ou socialement. Il n'est absolument pas anarchiste - de droite ou de gauche - en ce qu'il se réclame d'un ordre établi et qu'il a toujours indiqué (faudrait que je retrouve des citations) s'inscrire dans le conservatisme social.

Par contre oui, je parlais de libertaire pour Reiser car ça semble plus juste, Écologiste et anarchiste (qui ont les même racines, je m'en vais de ce pas relire Élisée Reclus).

Aba Sourdi, 07.10.2013 à 16:08352559
C'est marrant ça, je ne dirais pas spécialement que Lauzier est "de droite" et encore moins "conservateur" ou "réactionnaire", dans le sens où c'est une sorte de Desproges qui ne croit en rien et envoie tout bouler. Dans ce cas Desproges est de droite, je peux en convenir, c'est le fameux "anar de droite", mais je suis de ceux qui pensent que cette expression n'a aucun sens. Ce que je retiens des déclarations de Lauzier ce sont "la gauche est un amour déçu" et "je suis un fanatique du capitalisme", ça me semble bien le définir : une sorte de précurseur de la gauche gouvernementale des années 80 qui ne veut plus changer le monde social et est entièrement convertie à l'économie de marché. "De droite" d'une certaine façon, mais tout aussi libertaire que Reiser, à mon sens. Bref, c'est le fameux 'libéral-libertaire' qui transcende malheureusement les clivages et qui a fait beaucoup de mal aux deux bords.

Si on dit qu'il est "de droite", pour moi on doit reconnaître paradoxalement que Reiser n'est pas spécialement "de gauche", au sens où je ne le vois pas suffisamment humaniste pour cela. Ecolo c'est sûr, et libertaire bien entendu, mais pour ce qui est des combats sociaux ça me semble plus complexe que ça, pour moi c'est quand même un désabusé, contrairement à un Wolinski ou un Gébé qui ont moins sa cruauté et qui portent donc davantage un "message" au premier degré. Je suis sûr que Reiser préférait les animaux aux hommes.

Bref, je pense que la principale qualité de tous ces auteurs est la complexité surprenante et difficilement descriptible de leur vision du monde fondée sur le paradoxe et le 'pas de côté pour mieux observer'. Je crois donc que ce n'est pas très pertinent d'employer des termes trop politiques alors que leur regard est surtout sociologique et philosophique. Est-ce que Brétécher serait de droite parce qu'elle taclait surtout les proto-bobos du monde de l'éducation ? Je ne le pense pas. (Bon, quitte à choisir je suis pour dire qu'ils sont tous de gauche car rien que le fait de réfléchir sur le monde dans lequel ils vivaient c'était déjà une preuve qu'ils n'étaient pas de droite, surtout dans le contexte de l'époque, mais ça n'engage que moi. C'est peut-être encore ma légendaire "naïveté", qui sait...)

Charlie Brown, 07.10.2013 à 15:38352558
Thierry :
je reconnais que le rapprochement est cavalier et je l'assume. Et, en effet, j'aurais pû, dans cette optique, rajouter Wolinski et Brétécher à la liste, comme souligné par Aba sourdi


Je pense aussi comprendre tes rapprochement et optique. Peu importe la provenance ou la sensibilité idéologico-politique. En gros, ce qui t’intéresse ici, c’est la BD adulte post-soixante-huitarde (disons que ça s’arrête plus ou moins vers la fin des années 80), tendance critique comportementale, sociétale, voire sociale ou sociologique.

J’ajouterais alors à la liste des gens comme Martin Veyron surtout, ou même Jean-Claude Denis, voire Florence Cestac, par exemple.

A part Jean-Claude Denis, que j’aime beaucoup, je n’ai que très peu lu les autres (aucun Lauzier, aucun Reiser, deux ou trois Brétécher, un ou deux Veyron ou Cestac, Wolinski dans Charlie Hebdo surtout – hormis Paulette – à partir des années 90...). Comme toi, à l’époque, je me sentais trop jeune pour lire ça. Et, plus tard, je n’ai pas eu vraiment envie de me retourner sur tout ça. Ce en quoi j’ai sûrement tort. Et je réparerais ça un jour, sans doute...

Comme toi aussi, je connais surtout Lauzier par le cinéma. Et peu importe la qualité cinématographique souvent déplorable de ces oeuvres, j’avoue qu’elles me font parfois rire et je trouve qu’elles touchent souvent juste dans la peinture de la société de cette époque (fin 70’s-début 80’s) et le portrait des individus qui la composent, que l’optique soit jugée réactionnaire ou non.

Bref, je me joins à ta requête, j’attends des conseils éclairés et je prends des notes (y’a deux-trois trucs cités jusqu’ici qui me bottent bien...)

Thierry, 07.10.2013 à 13:57352556
je reconnais que le rapprochement est cavalier et je l'assume. Et, en effet, j'aurais pû, dans cette optique, rajouter Wolinski et Brétécher à la liste, comme souligné par Aba sourdi
D'un point de vue personnel, je les rapproche pour l'aspect sociologique de leur oeuvre et pour le refus d'un certain canon graphique. Gamin, j'avais tendance à trouver ça moche et vulgaire et dans le cercle familial, c'était considéré comme moche, vulgaire et limite honteux. Autant dire que c'était inimaginable pour moi de lire ça (je n'ai pas été un adolescent très rebelle). Puis, ces auteurs avaient pour moi une étiquette encore plus intimidante: de la bande dessinée pour adulte, avec du cul et de la prétention. Je connaissais au mieu par les films de Claude Confortès et autres... ce ne sont pas exactement des chef d'oeuvre dans mon souvenir, mais ce genre de cinéma était aussi mal considéré dans ma famille (que voulez-vous, fils de militaire de province, ça n'aide pas à l'épanouissement culturel)
Je note donc les références. merci bien :o)

Mael, 07.10.2013 à 13:39352555
Je suis aussi très surpris de voir ces deux auteurs dans le même titre, je comprend ce qui t'as fait les rattacher mais ils sont pour moins fondamentalement différents, que ce soit dans le fond, le trait ou l'approche.

Je crois qu'en tous les cas le post d'LL de Mars résume ce qui les différencie radicalement : leur positionnement politique. Lauzier est de droite, conservateur, parfois réactionnaire, Reiser dans une gauche-libertaire.

Pour Reiser je rejoins Pirik sur "Mon papa" que je trouve vraiment excellent, tragique et drôle à la fois, très beau. J'y rajouterai le "Gros dégueulasse" qu'on ne peut résumer à une potacherie trash.




Pour Lauzier en sus des titres suggérés par LL je rajouterai les "Souvenirs d'un jeune homme" qui, pour m'a part, mon beaucoup marqué. Désabusé, plutôt fin - quoiqu'idéologiquement orienté dans une direction qui ne me plait guère -, avec ce regard sociologique dont parlait Aba Sourdi dans son parallèle avec Brétecher.

Thierry, 07.10.2013 à 13:37352554
je parlais bien de la démarche sociologique, merci de vos reponses.
De Lauzier, j'ai juste lu "le meilleur des années 70" paru chez Dargaud il y a une dizaine d'années. Je crois qu'il s'agit d'un best of des Tranches de vie, parce qu'il n'y a évidemment aucun rédactionnel digne de ce nom dans ce bouquin. Relu ce weekend et c'est férocement drôle.

pirik2, 07.10.2013 à 13:14352553
Pardon, j'ai été devancé!

pirik2, 07.10.2013 à 13:12352552
"Mon papa" de Reiser est un très beau recueil dans un ton doux-amer.

lldm, 07.10.2013 à 13:08352551
Sinon, pour répondre à Thierry, de Lauzier je ferais lire en premier "La course du rat" et "la tête dans le sac", sans doute (les livres où il invente le plus clairement un truc qui lui sera propre). Difficile de ne pas se navrer parfois de la hauteur surplombante que s'y donne l'auteur sur le monde qu'il décrit (le côté hussard qui affaiblit nettement Lauzier), mais c'est assez précis pour donner un bel aperçu de la terraformation du proche monde de l'entreprise tel qu'il sera le modèle du monde tout court des années 80 (et toutes les suivantes). Le dessin y est juste fonctionnel, comme l'esprit qui le dirige, et c'est bien dommage.
Pour Reiser, j'aurais du mal à choisir quoi que ce soit ; le Reiser des tout débuts ("mon papa") est déjà incroyable, même si le dessin n'a pas encore toute sa belle vigueur (quand j'étais enfant, tout le monde s'accordait à dire "il dessine mal mais c'est drôle", ce qui m'a assez vite renseigné sur le fait que la plupart des gens avait de la merde dans les yeux); celui des grandes créatures de la fin ("Gros dégueulasse", "Jeanine", "oreilles rouges") devient plus romancier, il campe figures, durée, panorama avec plus de précision sans rien perdre de sa puissance comique et poétique.

lldm, 07.10.2013 à 12:54352550
il manque deux mots dans le texte ci-dessous un peu plus clairs pour établir moins lyriquement ce qui sépare radicalement les deux : droite, gauche. Ça brûle ni la bouche ni le clavier de les employer, ,surtout pour évoquer des dessinateurs politiques.

"On peut même dire, pour Sartre et Blondin, que l'on ne peut pas faire plus opposé en ce qui concerne la sensibilité et le regard sur l'humain"

voilà, c'est ça, c'est un petit problème de sensibilité, je l'avais sur le bout de la langue.

Aba Sourdi, 07.10.2013 à 12:12352549
C'est marrant, pour moi ils ne font pas forcément partie d'une même "famille". Déjà, il me semble qu'on lit pas mal Reiser pour son art vif et brut du dessin, alors que tout le monde s'accorde à dire que Lauzier fait davantage mal aux yeux, surtout ses couleurs.

Si tu veux parler de leur démarche sociologique, dans ce cas je comprends et j'incluerais aussi Brétécher et Wolinski qui sont tous les deux conseillables pour leur regard lucide et pertinent, même si on connaît les obsessions non réglées du deuxième. On voit en tout cas que chaque état d'esprit est très différent, en plus des simples différences de style. On peut même dire, pour Reiser et Lauzier, que l'on ne peut pas faire plus opposé en ce qui concerne la sensibilité et le regard sur l'humain, on a même souvent dit que "l'esprit Hara-Kiri", utopiste au premier degré, croyant en une autre échelle de valeurs possible même sous couvert de l'humour, était irréconciliable avec "l'esprit Pilote" qui n'était que dans le constat cynique ou absurde ; et pourtant, les histoires des deux journaux sont inextricablement liées, bien entendu.

Pour une passerelle inattendue et méconnue entre les deux, je te conseille le recueil "Les années Pilote" de Reiser sorti en fin 2011 chez Glénat. Paradoxalement, pour moi c'est là que Reiser était le plus talentueux et riche narrativement car à la fois subtil, poétique et didactique dans son regard sur les maux de la société : on est vraiment dans des récits, pas seulement dans des dialogues ou des gags. Les contraintes de Pilote (encore sous Goscinny à l'époque, donc un 'journal pour jeunes') lui faisaient le plus grand bien, ça lui évitait de verser trop facilement dans le potache transgressif qui a fait sa renommée par la suite mais qui a pu le faire se répéter aussi dans ses mécanismes. J'aimais mieux cette façon folle qu'il avait de faire marcher son imagination sur n'importe quel sujet.



(et en plus c'est très bien édité, niveau contextualisation.)

Bon, on est donc loin des tableaux sociétaux désespérants de Lauzier, c'est beaucoup plus frais, mais j'y peux rien, toutes les meilleures BD de cette frange sont à situer dans leur période 'fraîche', à mon sens. Pour Brétécher, je préférerai toujours "Salades de saison" aux "Frustrés", pour Wolinski je préférerai toujours "Cactus Joe" à "J'étais un sale phallocrate", de la même manière qu'on préfère forcément "La Rubrique-à-Brac" aux "Rhâ(â)-Gnagna/Lovely". C'est le problème avec cette génération. Lauzier est une sorte de contre-exemple, ayant commencé direct dans la 'BD adulte'.

Thierry, 07.10.2013 à 10:41352548
je lance un sujet parce que je connais très mal toute cette famille d'auteurs et j'envisage de les découvrir. mais par où commencer ?
Quels sont vos conseils éclairés ?

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